Sur la série « Graffiti ornemental effacé » (2023) :
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Johann Bertrand Dhy est attentif aux traces qu’il perçoit dans la ville, fantômes d’écritures qui promènent leur silhouette incertaine sur la facade de certaines architectures.
Ces signes effacés, aux allures de codes cryptiques incompréhensibles, constituent un langage parmi d’autres, des signes visuels au charme mystérieux.
À partir d’un inventaire photographique, il traduit picturalement des esquisses d’architectures, traitées en camaïeu, en miroir des surfaces nettoyées prélevées dans les rues, qui cumulent des teintes en dégradé.
La notion de palimpseste mène son approche technique : il dessine ces signes de graffitis fantômes au drawing gum, une gomme à dessiner pelliculable pour la réalisation de travaux en réserve, puis les recouvre de gouache, comme pour élaborer un camouflage. L’esthétique du spray envahit certaines parties de la composition.
Ensuite, en retirant le drawing gum, la couche inférieure réapparaît : les écritures prises en sandwich dans cette stratification picturale s’apparentent à des taches flottantes, en suspens dans les limbes.
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Eva Prouteau (extrait de l’article Effacement)
septembre 2022, revue 303, n°172 Refaire le mur.
Sur la série « La grotte » (2021) :
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La fête, de toute façon, pour la raison qu’elle met en œuvre toutes les ressources des hommes et que ces ressources y prennent la forme de l’art, doit en principe laisser des traces.
Georges Bataille, Lascaux ou la naissance de l’art, 1955
À Bruniquel, c’est le temps minéral qui se raconte depuis le début du troisième millénaire. Les structures circulaires composées de spéléofacts et découvertes dans cette grotte souterraine du Tarn et Garonne démontrent une fois de plus que le néandertalien n’était pas, comme le pensait Georges Bataille en son temps, cette « ébauche d’Humanité », ce « lourd Homo Faber » incapable de s’extraire de la matérialité du travail pour faire éclore le « prodige ». Ce voyageur chasseur-cueilleur pouvait vivre dans la plupart des biotopes, avait l’esprit d’équipe et était, en effet, capable de dresser des murets en empilant des blocs de stalagmites, cassées et calibrées au préalable, puis agencées selon une organisation suivant un plan régulier; tout cela en apportant avec lui un éclairage stable et renouvelable.
Toutefois, contrairement à l’Homme moderne qui, bien à posteriori, explorait les cavités dessinant sur les parois, c’est là que se situe le constat le plus intéressant pour les scientifiques: s’ils n’ont pas produit d’art figuré, il n’est guère douteux que les Néandertaliens possédaient des capacités cognitives qui leur permettaient certaines pratiques symboliques.
Alors l’énigme perdure. La fonction d’habitation ayant rapidement été rejetée par les scientifiques, quel fut alors l’objectif de Néandertal lorsqu’il a pénétré la grotte profonde de Bruniquel et y a aménagé, à 300 mètres de l’entrée, un environnement savamment pensé bien que rudimentaire ?
Cent soixante-seize mille et quelques centaines d’années plus tard, au Muséum d’Histoire Naturelle de Nantes, Johann Bertrand Dhy raccorde les temps par une série de gestes éphémères et fragiles, proposant un dialogue téléchronique avec cet alter égo des origines de l’Humanité. Il ne s’agit pas d’un récit construit ni d’une interprétation littérale des motivations qui auraient poussé l’Homme de Néandertal à la construction de cette structure souterraine. Procédant par analogie formelle mais dans un langage esthétique qui lui est propre, l’artiste a réalisé des collages sur papier ainsi que des céramiques qu’il a ensuite déposés sur la table de minéralogie du Muséum. Ces éléments s’intégrant à la collection de pierres, un doute s’installe quant à l’origine humaine ou naturelle des pièces émaillées.
Mais cet ensemble, dans un espace délimité, offre également des bribes de scénarios plastiques, comme autant de pistes à suivre pour appréhender le fait historique de Bruniquel par frottement avec nos propres cheminements mentaux.
L’aquosité, la fluidité, l’écoulement agissent comme le fil rouge de cette installation et disent une mémoire du temps: celui de la formation des stalagmites, ces concrétions mamelonnées formées par le mouvement continu de l’eau qui ruisselle le long des stalactites.
Aujourd’hui, Johann Bertrand Dhy joue sur le contraste des temporalités avec une exposition rendant hommage à cette installation permanente, un fait humain conservé depuis plus d’une centaine de millénaires sous la calcite.
« Un espace choisi », « L’articulation (ou le message) », « L’idée d’une composition », « Ensemble de gouttes » : les titres des collages sur papier agissent ensemble comme une sorte de modus operandi énigmatique, conceptuel et formel de l’installation.
À travers la série de céramiques nommée « Cairn et Colombin » Johann Bertrand Dhy se joue de la matière ductile par des gestes issus de techniques primitives de la sculpture. Il la travaille, l’étire, la compresse, la dilue…
En résultent des formes souvent architectoniques et organiques et parfois proches d’objets de notre quotidien.
Du volume au plan, comme souvent au sein de la pratique de Johann Bertrand Dhy, il est question de connexions entre les temps, les formes, les textures. Les collages aux forts contrastes chromatiques sont assimilés par l’artiste à une boîte crânienne où se lient, en une mystique incompréhensible, des signes évoquant une écriture disparue. Que s’est-il passé dans la tête de l’Homme de Bruniquel?
Mélodieux et rythmés, ces phonèmes de tons vifs sur fond noir témoignent également d’une musicalité et pourraient être la transcription d’une œuvre antédiluvienne, une partition avant l’heure.
Aussi, la fluidité et l’articulation des motifs convoquent une potentielle circulation comme un jeu de plateformes dans lequel l’avatar prend les traits de Néandertal nous entraînant dans une quête mystérieuse.
Enfin, ici et là, Johann Bertrand Dhy a essaimé quelques intrus enrichissant cette rêverie du reliquaire espiègle d’une archéologie contemporaine: fromage, chips, tabac ou autre cacahuète s’insèrent discrètement et complètent le tableau.
Avec cette digression plastique faisant écho à la « fête » bataillienne, plaisante et subversive théorie de l’origine de l’art, l’artiste amusé mêle la solennité ancestrale et minérale de la caverne aux atmosphères chaudes et enfumées de nos tavernes.
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Hélène Cheguillaume
août 2021
Publié dans le magazine Point contemporain septembre 2021
Sur la série « Bénitiers » (2021) :
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Sur le mur d’entrée, non loin de l’autel établi en 1772, Johann Bertrand Dhy a installé ses objets de [grès noir]. Il s’agit bien de bénitiers de chevet, petits objets qui se trouvaient au-dessus des tables de nuit à l’ombre des prières, comme l’étaient les calvairiennes dans leurs cellules.
Façonnés avec une argile crue, puis cuite, ces objets d’un [noir ténébreux], mettent en contact nuitamment les esprits saints avec les corps saints. Des bénitiers, contenants domestiques aussi communiant que communicant certains soirs.
De saintes communications qui aujourd’hui semblent disparaître dans nos sociétés où le sommeil se fait léger, abreuvé par le désir de fragrances instantanées. Parfum de menthe, de pommes ou de poires, irisé par le sucre semoule, ou surpris par la fraîcheur des glaçons ; toutes ces sensations s’échappent de ces petites aumônes installées.
Chaque offrande de Johann Bertrand Dhy est un élixir, un petit bouchon aussi spirituel que spiritueux. Les âmes les plus charitables viendront y tremper un doigt, sucrer leurs lèvres ; laissant se révéler à leurs esprits les plus belles prières ensevelies.
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Mathias Courtet
livret de la Nuit Blanche 2021 Discovery